Pour faire battre les cœurs,
Pour le frisson d’éternité à toute heure.
Pour faire battre les cœurs,
Pour le frisson d’éternité à toute heure.
Il existe à Valenciennes un service de transport pour les personnes handicapées qui s’appelle ‘Sésame’. Le minibus prend à domicile et va là où nous le désirons. Il nous ramène chez nous à l’heure que nous donnons ou qu’on nous impose. Il faut le retenir deux ou trois jours à l’avance (au moins).
L’autre jour, Sébastien, un copain non-voyant et son amie malvoyante l’ont utilisé pour participer à une fête organisée à Valenciennes par l’association ‘Voir ensemble’. Après une bonne journée ils ont voulu repartir chez eux à Escaudain. L’heure prévue pour le retour avait sonné.
Il n’y a eu hélas qu’un seul problème, c’est que le service ‘Sésame’ les a … oubliés, je dis bien ‘oubliés’ ! Ils sont restés comme des malheureux sur le trottoir.
Une chance, Sébastien avait un portable sur lui. Il a téléphoné au service en question.
Nous vous avons oubliés, lui a-t-on répondu.
Vu l’heure, il n’y avait plus de chauffeurs … il leur fallait revenir par leurs propres moyens !
Une seconde chance : les parents de Sébastien étaient chez eux et une troisième chance, ils ont une voiture. Ils sont venus les rechercher !!!
C’est inouï ! Est-il normal qu’ils aient été oubliés ? Bien sûr que non ! Nous sommes des êtres humains comme les autres. Pour qui nous prend-on ? Pour quantité négligeable ?
Et si Sébastien et son amie n’avait pas eu de ‘chance’ ? pas de portable, les parents partis ailleurs ou sans voiture ? Notre vie dépend-elle de la chance ?
L’équipe de la Frat handicap de Valenciennes est bien décidée à demander un rendez-vous au transport Semurval du valenciennois dont dépend le service Sésame. Nous dirons notre écoeurement, notre colère.
Ces personnes qui clament dans tous les journaux que grâce à leur service, tout le monde est sur un pied d’égalité, doivent se rendre compte de visu que même non-voyants, même boiteux, même en fauteuil roulant nous avons droit à autant de respect que tous les autres.
Cette histoire m’en rappelle une autre. Les parents de Jésus alors qu’ils étaient en voyage, ont recherché un soir une auberge pour les abriter d’autant que Marie avait les premières douleurs. Comme on dit en Mayenne, l’enfant frappait à la porte.
Celui qui raconte cet événement dit sobrement : ‘il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.’ Pourtant l’aubergiste, les clients ont vu le gros ventre de Marie ! Mais non, ils étaient quantité négligeable, sales sans doute à cause de la longue route, pas bien présentables, sûrement affolés par la naissance qui s’annonçait. En plus ils n’étaient pas du village ! Bref, personne pour prendre soin d’eux. Et c’est comme ça qu’ils se sont retrouvés dans une étable pour accueillir leur enfant.
Comme pour Sébastien et son amie, personne ne les a vus.
Qui sont les non-voyants ?
Je vais régulièrement à la pharmacie de mon quartier.
J’y vais presque avec joie. Dans cette pharmacie il y a des pharmaciens. Je sais ce n’est pas original ! mais, ce qui est mieux, ces pharmaciens sont des pharmaciennes… Elle sont accueillantes, sympas, souriantes, heureuses (apparemment)
Je rentre et je n’ai pas le temps de demander de leurs nouvelles qu’elles en demandent des miennes.
C’est un vrai plaisir et je suis moi-même presque heureux d’avoir des problèmes qui me permettent de les rencontrer chaque mois !
Je dois avouer, même si ça peut paraître gros, voire maso parfois, j’aurais loupé bien des rencontres, biens des joies si je n’avais pas été handicapé. Je n’aurai pas fait tous ces sports : skis, cheval, char à voile, escalade … si je n’avais pas été handicapé. Je n’aurai pas connu tous ces amis que je connais aujourd’hui si je n’avais pas été handicapé. Je n’aurai pas écrit mes bouquins si je n’avais pas été handicapé…
J’atténue tout de suite ces affirmations car moi, j’ai la chance ( ?) de n’avoir qu’un petit handicap pas trop emmerdant lorsque la prothèse est bien adaptée. Je ne pense pas que les ami-e-s qui sont à journée entière sur leur fauteuil, complètement dépendants diraient la même chose ; elles me prendraient à juste titre pour un fou qui ne sait pas ce qu’est le handicap.
Pourtant je persiste et signe : j’ai de la chance. Je ne parle que pour moi.
C’était le thème d’une rencontre d’une trentaine de jeunes de la JOC et de responsables ACE le 25 février 2006 à Cambrai.
De jeunes handicapés participaient à cette rencontre débat et ont dit comment ils vivaient dans leur corps et dans leur tête l’événement du handicap. C’est vrai que lorsqu’on est bien dans son corps, on est bien dans sa tête. Mais quand on est handicapé, ça veut dire quoi être bien dans son corps ?
Le corps permet une relation, la rencontre avec l’autre. Mais si ce corps est handicapé, il est trop souvent un obstacle à cette rencontre et à cette relation.
Il y a par exemple l’accessibilité qui empêche d’aller visiter un ami ou d’être invité chez un ami.
Il y a aussi le regard des autres qui peut être un obstacle.
Handicapé, on n’ose pas sortir, se montrer. Mais ce regard des autres peut aussi aider la personne handicapée à s’accepter comme elle est.
J’ai déjà raconté que j’avais été trois fois devant la porte de la piscine avant d’oser entrer. Je n’osais pas affronter le regard des autres. Finalement, quand j’ai eu le courage d’entrer et de me jeter littéralement à l’eau, j’ai dit : « c’est grâce au regard des autres que j’ai pu accepter mon corps comme il était. Ce n’était ni un regard de voyeur, ni un regard de moquerie mais un regard accueillant et presque admiratif. Alors, dans ma tête, ça a été mieux. »
Le handicap a aussi des conséquences dans les relations amicales. Pierre nous a dit : « Plus mon handicap a augmenté, moins j’ai eu d’amis et ma copine m’a laissé tomber. Les amis que j’ai aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’hier lorsque j’allais à peu près bien et que j’étais à peu près indépendant..
Devenir dépendant change la relation. Elle peut être une aide sympa et se transformer en amitié, elle peut être aussi de la pitié et alors elle est insupportable ! »
Le handicap lorsqu’il est lourd, est vécu douloureusement. C’est ce que nous a crié Véronique, 22 ans: « Jamais je ne serai aimée par un homme, jamais je ne pourrai avoir un enfant ! »
Le groupe de la Frat dans lequel je partage s’est dit que le handicap est un mal qu’il faut combattre avec nos moyens : je dois accueillir l’autre comme il est, accueillir aussi son regard, intervenir pour que la rue, les maisons, les lieux publics soient accessibles car il ne suffit pas de l’inscrire dans une loi pour que tout soit résolu !
Christian a ajouté : « Oui le handicap est un mal et il n’est pas voulu par Dieu, la preuve c’est que Jésus a guéri tous ceux qu’il a rencontrés. La guérison ça a permis à ces gens de redevenir des citoyens à part entière parce qu’ils n’ont plus été alors coupés de la société des hommes. Cette société qui, le plus souvent, nous handicape ou du moins augmente notre handicap par tous les obstacles physiques ou administratifs qu’elle nous oblige à franchir ! Nous ne manquons pas de papiers dans lesquels nous nous noyons alors qu’il en est refusés à d’autres ! tous ces obstacles, nous en arrivons parfois à nous demander si ce n’est pas parce que la société espère que nous baissions les bras. Et bien non, nous ne baisserons pas les bras. Nous voulons vivre et participer ! »
Le handicap physique, mental, crée une exclusion parmi d’autres (chômage, emplois précaires, nos origines etc.) Aucune exclusion n’est acceptable et nous devons toutes les combattre là où nous sommes, avec celles et ceux que nous côtoyons chaque jour à commencer entre nous, a conclu Martine une jociste de Valenciennes. Handicapés dans notre corps ou non, nous devons apprendre à vivre ensemble. »
Ils sont mes amis du C.R.A. (1)
Ils me font pleurer parfois
Ils me font aussi danser de joie.
Eliane, Zora, Jacques, Edgar,
Rodolphe, Jean-Pierre, Alexandre et Bernard
Chantal, Véronique, Mickaël, Salima,
Arlette, Romane, Morikao et Sidika
Corinne, Claude, Jean, Thierry,
Berthe, Marthe, Ruslan et Henri
Jean-Philippe, Mohamed, Jean-Louis, Mirabelle,
Sunmi, Philippe, Ahmed et Christinel
Ils sont mes amis du C .R.A.
Ils me font pleurer quelque fois
Ils me font aussi danser de joie
Turcs, Polonais, Algériens,
Italiens, Roumains, Marocains
Russes, Espagnols, Antillais,
Commoréens, Coréens et Portugais
Ils sont mes amis du C.R.A.
Univers coloré et plein de foi
On y dit toujours : ’Et toi ?’
Et toutes celles et tous ceux
Blouses blanches, vertes, roses, bleues
Sont là chacun, chacune pour les autres
Leurs espoirs deviennent les nôtres
Ils nous prothèsent sans nous protéger
Avec eux, marcher c’est le pied
Ils nous aident sans faire à notre place
Grâce à eux, nos pas laissent à nouveau des traces
Ils sont mes amis du C.R.A.
Tous ceux qui ne désespèrent pas
Qu’ils soient à Gorazde ou au Rwanda.
(1) CRA : Centre de Rééducation et d'Appareillage. Valenton près de Créteil.
Un jour je me promenais avec une amie qui était en fauteuil.
Nous faisions du lèche vitrine dans le centre ville. Mon amie (disons : Valérie) me propose d’entrer dans un magasin. Elle a vu quelque chose qui lui plaît. Une robe.
Futée, la vendeuse s’adresse à Valérie avec un grand sourire, elle lui demande si elle veut quelque chose de précis (elle ne me demande rien vu qu’il y en a que pour les femmes dans le magasin !) Valérie lui montre la robe avec des yeux d’envie. Elles parlent un moment toutes les deux : taille, coloris etc. Moi je regarde les gens qui se promènent dehors sur le trottoir.
Valérie fait son choix et, super, il y a ce qu’elle désire dans les réserves du magasin. La vendeuse propose à Valérie d’essayer la robe et me dit :
- Monsieur, si vous voulez bien accompagner votre femme dans la cabine d’essayage.
Je lui dis que Valérie n’est pas ma femme, c’est une amie. Je regarde la cabine d’essayage et je me dis qu’à deux là-dedans il faut être soit l’un au-dessus de l’autre, soit collés sans trop pouvoir bouger. C’est pas que ce serait désagréable mais, bon, pour enfiler une robe, dur dur ! et puis il y a le fauteuil.
Après un bref échange, la vendeuse comprend tout et propose à Valérie de l’accompagner dans une pièce, dans le fond du magasin. Au bout de trois ou quatre minutes, Valérie apparaît, resplendissante dans la robe de lumière qu’elle désire. Je lui dis qu’elle est très belle et elle fait un signe de tête à la vendeuse pour signifier qu’elle achète la robe.
Valérie paie et refait un tour dans le magasin. Elle peut choisir elle-même au lieu d’expliquer comme elle peut ce qu’elle veut pour que quelqu’un fasse la course à sa place. Je lui avais dit avant de partir d’en profiter et d’entrer dans les magasins qu’elle voulait. J’avais tout mon temps.
Pendant que Valérie se balade dans le magasin, la vendeuse vient vers moi et me glisse :
- Comment fait-elle pour avoir toujours le sourire ? Moi, dans un fauteuil je ne saurais pas.
Je n’ai rien répondu tout haut mais au fond de moi je me suis dit : « Si tu savais ! Oui Valérie a un beau sourire vrai, franc, communicatif. Oui Valérie est heureuse. Mais ce soir, lorsque la porte de sa maison sera fermée, elle devra affronter, comme tous les gens comme elle, la solitude, la souffrance, l’impatience de ne pouvoir atteindre le livre, la bouteille d’eau, le vêtement qu’elle veut. Elle va avoir du mal à se mettre du fauteuil dans son lit. Pourtant, elle sera heureuse. Cette joie est au fond d’elle, blottie au fond de son cœur, collée à sa vie. Pourquoi ? Je ne peux pas répondre à sa place. Peut-être qu’elle aime la vie parce qu’elle sait que la vie est fragile ? … »
Je me souviens des larmes du gars handicapé dans le film ‘Intouchables’ lorsqu’il est seul le soir dans son lit.
Il y a des jours comme aujourd’hui
Où, bien que dehors il n’y ait pas de pluie,
Le corps et la pensée entraînent vers des méandres
Au goût de mortelles nausées et de cendre.
Ca ne peut plus continuer,
Je vais faire mes bagages pour les nuées,
Au moins là haut je pourrai me déplacer,
Je ne resterai plus enfermer, effacer.
Avant, pleurer me faisait du bien.
Maintenant, ça ne me fait plus rien.
Les larmes me remettaient sur la voie,
Dans celles de ces jours-ci je me noie.
Il y a des jours comme aujourd’hui
Où, bien que dehors il ne fasse pas nuit,
Le corps et la pensée entraînent vers la solitude
Au goût de mortelles attitudes.
Rouler en fauteuil dans la maison,
Buter sans cesse contre les cloisons.
Marcher avec des cannes sur des chemins,
Ne pouvoir rien prendre dans les mains.
Je ne peux plus vivre ainsi,
Je ne crois pas à un messie
Capable de changer demain,
De me rendre heureux comme un gamin.
Il y a des jours comme aujourd’hui
Où, bien que dehors les nuages s’enfuient,
Que des gestes de paix se dessinent,
Je ne vois que ceux qui assassinent.
Tous font leur cinéma,
Mais enfoncent le monde en trauma ;
Visages souriants, accueillants,
Derrière leurs canons jamais défaillants.
Je n’accepte pas leurs visages de tueurs,
Je me sens impuissant, ne vois aucune lueur.
Si je ne peux rien faire
Pourquoi rester avec eux sur cette terre ?
Et puis, au bord de l’acte
Pour un insondable entracte,
Dans mon corps et ma pensée
Défilent des événements insensés :
Mes amis de tous les jours, désespérés.
Les larmes de ma famille, désemparée.
Il y eut alors ce coup de fil
Je m’y suis raccroché, il tombait dans le mille !
J’ai jeté les comprimés dans la cuvette,
Je crus voir un bouquet de pâquerettes…
Après l’amputation, une fois que tout est remis en place, si je peux dire, je demande à un copain, Pierre, s’il veut bien m’accompagner à la piscine.
J’ai toujours aimé l’eau, encore plus dans une piscine.
Pierre accepte de m’accompagner. Nous allons donc à la piscine de Valenciennes à la date que nous avons décidé. J’arrive avant Pierre. De l’extérieur on peut voir ce qui se passe dans la piscine grâce à un mur qui est une verrière. Je regarde. C’est un joyeux spectacle d’enfants qui sautent, plongent, nagent, jouent.
Si le spectacle est joyeux, il me fait peur. Je ne me vois pas entrer dans l’eau à cloche pied.
Je vais être le spectacle.
Pierre arrive. Il me rejoins et dis :
- Alors ? On y va ?
Je fais la moue et lui montre d’un coup de tête le bassin plein de remous et d’éclaboussures. Pierre repose sa question :
- On y va ?
- Pas aujourd’hui. J’ose pas.
Pierre n’insiste pas et nous reprenons un rendez-vous.
J’ai été trois fois devant cette piscine avant d’oser entrer. Pierre ne m’a jamais forcé la main. S’il m’avait dit : ‘T’es con, tu vas voir, ça va bien se passer’ je crois que je ne serais jamais entré. Il m’a laissé vivre et décider à mon rythme. Merci Pierre !
Je suis enfin dans cette piscine, assis sur un banc le long du grand bassin. Je regarde les enfants qui s’amusent et crient de joie. je me décide à ôter la prothèse. Une main sur l’épaule de mon ami Pierre, je m’approche à cloche pied du bassin et je plonge.
Quel bonheur, quel délice. Je glisse sur l’eau et retrouve les gestes que je pensais oubliés. Je suis bien dans mon corps qui se détend au contact de l’eau.
Pour sortir c’est difficile. Je n’avais pas pensé à ça ! Je ne vais pas passer le reste de ma vie dans la piscine ! Je m’approche d’une échelle et je monte sur les genoux pour retrouver le sol. A cloche pied, (sans glisser !) je retrouve le banc. J’essuie le moignon, je remets la prothèse immédiatement.
J’ai senti les regards sur moi lorsque je suis sorti du bassin. Je me dis que j’aurais fait pareil. Normal que le regard soit attiré par un spectacle inhabituel.
Je reste assis, une serviette sur les genoux pour cacher mes misères. Un jeune d’une quinzaine d’année approche et sans s’arrêter, il dit en passant :
- Bravo ! Vous êtes courageux monsieur.
Je reste baba !
Suis-je courageux ? Je ne sais pas … mais le plus grand courage, si courage il y a eu, ça a été d’accepter de me laisser regarder par les autres.
Ce poème, je l’ai écrit au soir de mon licenciement.
Quand tu deviens handicapé dans ta chair
Tu ne fais plus parti de leur groupe
Tu ne peux plus manger dans leur soupe
Tu es rejeté, balayé, ignoré
Comme un vieux chiffon usé.
Au début tu te bats
Tu ne veux pas baisser les bras
Mais ils sont bien organisés
Les bien-portants normalisés.
Comme une mouche têtue contre le carreau,
Tu insistes, persistes, tu en fais trop
Pour prouver que tu peux vivre avec les normaux
Et, fatigué, tu finis par laisser ta tête sous l’eau.
Ils vont te plaindre, peut-être même pleurer
Mais au fond ils seront rassurés :
Ton échec entre dans leurs normes,
Tu ne peux gagner si tu es difforme.
Ils préfèrent se pencher sur ton sort
Et t’aider à vivre ta mort.
Chacun son rôle et la société dormira sur ses deux oreilles,
Les valides gardent leur place dans l’appareil,
Toi, tu es assisté mais pas acteur,
Mis sur la touche parce que tu fais peur.
Tu ne vas tout de même pas croire
Qu’ils vont changer, à cause de ton histoire,
Leur façon de vivre entre eux :
A l’abri de tous ceux qui ne sont pas comme eux !
Un jour j’ai voulu aller acheter un téléphone portable chez Boulanger. Je ne parle pas du fabriquant de pain bien sûr, mais du vendeur d’électroménager.
Je porte ma prothèse et je suis fier de me balader comme tout le monde. Avec la chance qui ma caractérise, ce matin là, la femme de ménage venait de nettoyer le sol du magasin et je n’ai pas fait attention à une petite flaque d’eau de rien qui prenait son temps pour sécher.
Vous avez deviné ! j’ai marché du pied gauche dessus, j’ai glissé et je suis tombé. Ça se passait juste devant les caissières.
Me voilà donc par terre et je grimace. Je vois le genou grossir et la prothèse devient insupportable.
J’essaie mais n’arrive pas à me relever. C’est alors qu’une petite caissière daigne lever son petit derrière de la chaise pour me dire au dessus de la caisse :
- Et bien, monsieur, relevez-vous ! Ce n’est pas bien grave.
C’est pas elle qui était par terre ! Et puis si mon genou gonflait à vue d’œil, la prothèse, elle ne changeait pas de circonférence !
Je la saisis des deux mains (la prothèse, pas la caissière !) pour tenter de l’enlever.
La petite caissière voit avec stupeur ma jambe grandir peu à peu. J’étais en pantalon et elle ne pouvait pas voir que c’était une prothèse.
Bien que c’était douloureux, j’ai ri lorsque j’ai vu les yeux de la caissière grandir au même rythme que ma jambe !
Elle a failli avoir un malaise ! Elle a quitté sa caisse en courant, en criant, ne voulant plus voir le reste.
J’ai enfin réussi à enlever la prothèse et ce sont des clients qui sont venus m’aider. Ils m’ont fait asseoir, ont été chercher un verre d’eau et quelqu’un m’a proposé de m’accompagner à ma voiture. Une main sur son épaule, nous y avons été à mon pas !
Je n’ai jamais vu, pendant tout ce temps, l’ombre d’un vendeur du magasin ! La caissière leur avait sans doute raconté que j’étais anormale et que j’avais le pouvoir de grandir à volonté !
Lorsque je suis arrivé chez moi, pour aller du parking à la maison, j’ai commencé une lente marche à cloche pied avec mon pied gauche sous le bras. Heureusement, un voisin m’a vu et a proposé son aide. Je lui ai donné les clés de la maison et il a ramené mon fauteuil roulant.
Depuis je prends toujours deux cannes lorsque je sors !