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8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 04:57

Cette semaine nous avons fêté comme chaque année, la saint Eloi, patron des métallurgistes (entre autres) Cela s’est fait calmement dans un restaurant.

Je mets ci-dessous un passage de mon premier bouquin « Toujours debout » pour raconter l’ambiance qu’il y avait ce jour là dans les ateliers.

« … Mais la plus grande fête, la plus attendue, est celle de la Saint Eloi et de la Sainte Barbe. Aux Houillères, les deux se confondent. Ils sont mineurs et métallurgistes. Les ouvriers en parlent et l’organisent des mois avant. Des groupes naturels se forment. Par exemple ceux du même poste ou du même métier. Un gars se charge du plat de résistance après en avoir parlé avec sa femme et il amène un couscous ou une choucroute ou autre plat.

Ce jour là, il n’y a pas de postes. Tout le monde est ‘de jour’. Et tout le monde est à l’heure ! On se salue en riant et en accompagnant la poignée de main d’un retentissant :

Bonne fête !

Certains restent habillés ‘en civil’, d’autres mettent seulement une veste de toile bleue propre et chacun rejoint son groupe. Les bouteilles ne manquent pas mais ce n’est pas pour autant un jour de saoulerie. C’est un jour de fête. Après le repas, on tape la belote, on joue aux dames… Tout cela dans un atelier silencieux des bruits des machines et où il fait bon vivre. Le bruit des machines est remplacé par les rires et les histoires des travailleurs.

Les chefs tiennent à cette fête pour maintenir ‘une bonne ambiance’ et ils font la visite à chaque groupe :

- Bonjour et bonne fête ! Alors ? Ca sa passe bien ? demande Cek (le contremaître de l’atelier)  en se frottant les mains.

C’est son jour ‘au large sourire’ Il vient voir ‘ses enfants’. A 14h30, c’est la corvée. Antoine (contremaître des fraiseurs) se met à crier partout :

C’est l’heure de la réception !

Un peu endormi par la digestion, chacun y va sans enthousiasme… bien que la veille il avait été décidé de boycotter cette réception..

Après avoir obtenu difficilement le silence, Antoine se lance dans un discours qu’il a du mal à prononcer.

Mes chers amis…

Chers camarades ! lance quelqu’un.

Sourire gêné de Cek qui se frotte les mains.

Mes chers am-amis, insiste Antoine, en ce jour de saint Eloi, je voudrais vous dire…

Quoi encore ? fait une petite voix en imitant le bégaiement.

…je voudrais vous dire au nom de votre maîtrise…

      -    Elle ne maîtrise rien !

Rires. Cek sourit et met cela sur le compte du vin.

… au nom de votre maîtrise, une bonne fête de saint Eloi et un merci pour votre collaboration. Vous savez comme moi, que les jours sont difficiles. L’avenir est incertain. Bien sûr, l’année ne se passe pas sans incident ni sans énervement. Les commandes urgentes en sont souvent la cause. Mais nous devons tous en mettre un coup pour être compétitif et sauver l’avenir des ateliers d’Aniche. Nous sommes tous embarqués sur le même bateau… quoiqu’en pense certains….

Ce disant, il regarde fixement Daniel qui tourne la tête pour regarder derrière lui qui est concerné.

Quoiqu’en pensent certains, répète-t-il.

Oui mais nous on est dans la soute et toi sur le pont ! lance Joseph.

Je sais que tu veux tout faire couler, répond Antoine qui s’énerve.

Après quelques minutes de brouhaha, Antoine peut reprendre :

Ca n’est pas le moment d’être divisés. Nous vous demandons de nous comprendre et nous faisons notre possible pour que tout aille bien. Bonne fête de saint Eloi à tous et vivent les ateliers d’Aniche !

Antoine a abrégé la fin, devinant que les gars en ont assez. Après ce discours, c’est la remise des cadeaux… au contremaître et à ses trois subordonnés !

La semaine précédente, un gars était passé pour que chacun mise en vue de ces cadeaux. Il avait une liste de tous les noms et en face chaque nom était mise la somme donnée. Il remettrait cette liste au contremaître le lendemain de la fête !

Le soir de cette collecte, Daniel en avait parlé avec ses copains.

Ca s’est toujours fait.

Si tu ne veux pas avoir trop d’ennuis dans l’année, tu as intérêt à miser !

C’est vrai dans le fond, avait pensé tout haut Dominique, ils n’en ont pas besoin, eux. C’est pour nous qu’on devrait faire la quête !

Les cadeaux remis, le vin recommence à couler et il y a les numéros habituels : ‘Les baladins’ chanté par Raymond, ‘La Quête’ racontée dans un savoureux patois par Joseph, les vieilles chansons poussées par Roger ou Pierre….

Au bout d’une heure, l’ambiance commence à tomber, l’électrophone est mis en route et les anciens se mettent à danser entre eux. Cek s’y met aussi et se retrouve dans les bras d’un ouvrier, il nous couve de son regard voilé par l’alcool, mais cette fois il ne peut pas se frotter les mains !

Les plus jeunes, ceux de la GMT, s’éclipsent, les délégués houillères et quelques autres s’en vont avec eux. Certains retournent à leur belote, d’autres partent à la recherche d’une échelle. Le plus jeune s’allonge dessus, et un défilé commence dans l’atelier avec l’échelle posée sur les épaules de deux gaillards et le jeune en équilibre, sur l’échelle, La troupe est emmené par quelqu’un qui brandit un balai qui fait office de croix et tous chantent à tue-tête :

‘Non, non, non, non

saint Eloi il est pas mort

Non, non, non, non

saint Eloi il est pas mort

car il vit encore

car il vit encore ! ‘

Les plus audacieux remplacent le ‘car il vit encore’, par ‘car il bande encore’.

Le cortège passe dans tous les coins de l’atelier, il traverse le bureau d’études où dessinateurs et préparateurs sont restés sagement devant leurs planches ou leurs bureaux. Les ingénieurs et les chefs d’ateliers qui sont à l’étage au-dessus restent prudemment dans leur antre. Cela dure jusqu’à extinction des voix et tous se retrouvent assis pour terminer les bouteilles de vin. Il en reste toujours et les autres bouteilles seront bues les jours suivants. Ce sera l’occasion de se souvenir de la dernière saint Eloi et d’espérer que la prochaine sera encore plus belle.

Lorsque la sirène libère tout le monde à 16 heures 30, certains vont faire la tournée des maisons. C’est l’occasion pour Daniel de faire la connaissance des femmes de ses copains.

Quelle journée ! Elle s’est toujours terminée sans incident ni accident. Chacun est surpris quand même, et heureux, de retrouver tout le monde le lendemain, la tête lourde mais entier. »

 

ateliers-Aniche-1-.jpgateliers-d-Aniche.jpg


Ateliers centraux des Houillères

Aniche vers 1930

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